18 ANS DE DECENTRALISATION AU BENIN : « Les élus de la quatrième mandature doivent chercher à affiner ce qui a été fait tout en privilégiant la démocratie locale, une communication plus active à l’endroit de la population », dixit Joseph Tossavi, Ex Président de la Mission de décentralisation

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06 février 2003, 06 février 2021 ; 18 ans déjà que le Bénin a opérationnalisé la décentralisation comme outil de gestion des collectivités territoriales par l’installation du 1er conseil communal le 06 février 2003, après 10 ans de théorie, de formulation, d’échanges, de reculade et d’hésitations politiques à la phase active. Un entretien exclusif avec Joseph Tossavi, Inspecteur des Finances à la retraite, Ex Président de la Mission de décentralisation, nous a permis de décortiquer  les faiblesses et les avancées du processus de décentralisation, démarré depuis 18 ans et les défis de cette quatrième mandature.

Propos recueillis par  Sylvain Bahountchi

Vous étiez à la tête de mission de décentralisation qui a été l’une des trois structures à porter le processus de décentralisation jusqu’ à l’organisation des premières élections communales, municipales et locales. Après dix-huit ans de mise en œuvre de cette décentralisation, quelles sont les avancées auxquelles on peut identifier notre système de décentralisation ?

Je crois qu’avec cet âge (18ans), nous pouvons dire que notre décentralisation a atteint l’âge de la majorité. Donc après les balbutiements d’enfance, les hésitations et les inconsciences de la jeunesse, je crois qu’on peut parler d’un début de maturation du processus.

Quand nous jetons un regard rétrospectif, nous pouvons dire qu’en matière de décentralisation béninoise on a fait du chemin, et quand on voit à coté de nous, c’est-à-dire les pays limitrophes, on peut dire que notre décentralisation a été un processus beaucoup plus dynamique. Les acteurs à savoir les élus, l’administration communale, les autorités de tutelle et la société civile, les partenaires au développement, tous ces acteurs ont essayé d’apporter leur soutien au murissement du processus. Il faut reconnaitre que les premiers élus n’ont pas croisé les bras au début du processus. Ils se sont jetés à l’eau avec les incohérences et les tâtonnements, mais ils étaient conscients des défis à relever.

Ils se sont organisés, nous avons vu naitre la grande faitière des communes du Bénin, l’ANCB (Association Nationale des Communes du Bénin). L’ANCB qui a essayé d’être et qui l’est toujours, ce creuset réunissant toutes les communes et d’être un structure porte-voix. Ça c’est un premier élément.

Deuxième élément, c’est que les élus ont eu l’idée de donner une image à leur commune, car on dit souvent que si l’habit ne fait pas le moine, on reconnait quand même le moine par l’habit. Ainsi ces premiers élus ont développé cette volonté de transformer les circonscriptions qui sont devenu des communes qu’ils ont héritées. On a vu dans ces débuts une administration  communale qui a commencé à représenter l’image des communes.

Le troisième élément est que, avec l’appui de l’administration territoriale, des ministères, des partenaires, ces élus ont eu à prendre conscience des initiatives de renforcement de capacité de leur administration communale qui devrait les accompagner dans la mise en œuvre de leur objectif de développement. Dans cet élan le CeFAL(Centre de Formation de l’Administration Locale) a par la suite vu le jour pour accompagner les collectivités territoriales en terme de diagnostic et de renforcement des capacités sans oublier la touche qu’apportait l’ENA(Ecole Nationale d’Administration). Ainsi on a assisté au diagnostic de l’organisation administrative des communes et à la mise en place de l’organigramme adapté au fonctionnement des communes.

Dans ces premiers pas la question des ressources financières a été aussi au cœur des réflexions ce qui a induit la mise en place du fond d’appui au développement des communes (FADEC) qui a été possible grâce à la contribution des partenaires techniques et financiers. Tout cela pour donner un substratum au développement communal à travers deux objectifs qui sont de promouvoir la démocratie à la base et le développement local qui sont en quelques sortes la fondation de notre décentralisation.

Ces premiers élus à travers leur engagement ont donné quand même une image du Bénin au plan international à travers les grands congrès et rencontres des associations de développement urbain tel qu’Africité, de l’Aimf, CGLU etc. Tout ceci à consacrer un début de rayonnement de la coopération décentralisée. Aussi plein d’autres outils des finances communales ont été élaborées et adoptées dans la suite du processus en l’occurrence la Ponadec (Politique Nationale de décentralisation et de déconcentration) qui devient un outil fédérateur des acteurs des ministères et directions sectorielles.

 

Ce processus de mise en œuvre de la décentralisation n’a pas connu que des prouesses, il a certainement connu de déviances de part et d’autre. Parlez-nous-en ;

 

Le premier aspect  ayant affaibli le processus de décentralisation pendant ces 18 ans, c’est la politisation. En principe, la décentralisation, même si les partis y venaient de clans différents, dès qu’ils sont élus, ils devraient penser en commun de l’avenir de leur communauté. On a senti très tôt que c’est des acteurs qui n’étaient pas en équipes, pour des raisons de manque de confiance. Ils se comportaient beaucoup plus en gladiateur visant à tout prix pour s’auto détruire. Ce qui a entrainé l’instabilité de plusieurs conseils communaux avec à la clé, la destitution des maires. Le fait de chercher à tenir la majorité et la stabilité de leur position ne permettait pas au maire de penser le développement de leur localité.

Les deux défis de la décentralisation que sont la démocratie locale et le développement local, sont restés au niveau supérieur par rapport à la population. Elle n’a pas encore approprié les idéaux de la décentralisation. La responsabilisation de la population dans le processus de décentralisation reste encore une quête. Un effort se fait c’est claire, mais est ce que la population perçoit le vrai sens de la reddition de compte par exemple, ne se fait-il pas juste pour des fins électoraliste ? Ce pan d’implication de la population constitue un gros défi à relever.

On n’a noté aussi l’instabilité des cadres de l’administration communale, pour raison du désir d’avoir du neuf ou des raisons de non appartenance au même bord politique par rapport à l’autorité, ce qui ne permet pas de capitaliser le renforcement de capacité qui est fait à l’endroit de ces agents. Je pense aussi que l’incitation qu’il doit y avoir pour permettre aux agents communaux de se fixer au territoire local n’est pas encore adéquate. Ceux-ci pensent à tort et à travers que le mieux-être est au niveau central.

il faut reconnaître que pendant longtemps les maires et leur administration communale n’ont pas fait ce lien qu’il doit avoir entre le développement économique et la gestion communale, à tel enseigne que le budget des communes n’était centré que sur le fonctionnement, le pourcentage réservé au développement était ainsi infirme, mais au fil du temps ce défaut connait de jour en jour d’amélioration avec les différents outils  mise en place pour l’élaboration des budgets où la population est quelques fois impliquée dans certaines communes.

 

Courant les mandatures passées, en l’occurrence la troisième,  est-ce que la destitution des maires n’a-t-elle pas porté atteinte à notre décentralisation ?

Ma réponse peut paraître subjectif, le premier aspect est que beaucoup n’avaient pas perçu pourquoi ils étaient élus, ils pensaient plutôt qu’ils étaient élus pour leur gloire personnelle où on a tendance à croire qu’il lutte pour avoir accès à un quelconque gâteau. Pour preuve, tout a commencé par les missions assorties de frais  empoché, ce qui déjà faisait objet de remous et de jalousie quand les missions se répétaient pour le maire. Ensuite nous avons la gestion des marchés communaux où le maire et son Chef Service Administratif et Financier CSAF  sont au cœur du processus et les gains qui en ressortent font objet de mécontentement, ce qui induit les motifs de non accord autour de la gestion financière des fonds de la commune, d’aucun parle de dilapidation des fonds de la commune, ainsi les motifs de destitution en découlent, et le blocage du vote du budget communal où le quorum n’est jamais atteint.

 

Le système Partisan, est-ce aujourd’hui une solution aux différents verrous qu’ont connus les mandatures passées ?

 

 

En tant qu’observateur, je dirai qu’il n’y a rien sans rien. Il faut reconnaître que tout le monde à un moment donné était devenu ulcéreux sur cette affaire de destitution qui était devenu vraiment fantaisiste, ça c’est un constat où tout le monde disait qu’il n’y a pas une maîtrise du processus. Alors cet article qui faisait objet de destitution nécessitait aux yeux des acteurs eux-mêmes, un recadrage qui respectait les aspirations et objectifs du gouvernement en place. C’est ainsi que le système de verrou a été mise en place pour permettre une stabilité des élus ayant en charge la gestion de nos collectivités. Il revient en réalité à chacun d’apprécier le mode de gestion sous ce système par rapport à l’ancien et à la fin de ce mandat chacun fait son diagnostic vu que c’est les mêmes acteurs qui pilotent les régimes.

 

 

Parlons maintenant de la démocratie locale, comment appréciez-vous sa mise en œuvre en 18ans et qu’est-ce qui reste à faire pour une suite parfaite du processus de décentralisation sur ce volet ?

 

Sur ce volet je pense que des efforts ont été faits surtout grâce à l’appui des partenaires tels que l’Union Européenne, la Banque Mondiale, la coopération suisse etc. Mais il reste à faire. A mon entendement, il y a nécessité qu’on organise d’avantage les villages et quartiers de ville, il faut un ancrage saint du développement communautaire avec le développement local. Il faut aussi qu’on réorganise le développement communal avec le développement communautaire. Il faut responsabiliser les groupements qui existent dans les villages, il faut leur donner le pouvoir autour des objectifs du développement du millénaire ce qui va induire un suivi juste des projets du secteur de l’éducation et du micro crédit au niveau des communautés à la base

 

 

 

Quelles appréciations faites-vous des différents taux de transferts des ressources financières, matérielles et humaines effectués par les gouvernements successifs aux collectivités territoriales depuis 18 ans?

 

Parlant du transfert des ressources, cela revient à parler du Fond d’appui au Développement des Communes (FADEC), au début où ces fonds ont été accordés aux communes, la plupart d’entre elles ont concentré  l’usage dans la rénovation de leur bâtiment administratif, c’est-à-dire elles ont beaucoup plus consacré ces fonds au volet fonctionnement qu’au volet investissement  ce qui très tôt a suscité des missions de contrôle et d’audits auprès des communes. Aujourd’hui  nous sommes encore à moins de cinq pourcent (5%), ce qui est faible et décrié par toutes les collectivités territoriales et les organismes nationaux et internationaux qui participent à l’amélioration des conditions de vie de celles-ci. La plupart de ces organismes demandent une augmentation à 10% voire 15% ce qui est normal, mais la grande question est de savoir, comment le peu qui a été envoyé est dépensé et si ce peu est entièrement dépensé à de bonnes fins. Les missions d’audit nous en disent plus. Il faut que les communes soient plus convaincantes à travers leur projet d’investissement communal avec des visions claires et une transparence dans la gestion  des fonds cela y va de leur capacité de gestion, une preuve qui encouragerait le gouvernement à transférer les ressources.

 

Quelles sont ces défis que la quatrième mandature doit mener pour vraiment prouver la maturité  de notre décentralisation ?

Il faut reconnaitre qu’il y a eu des avancés et que c’est à l’ancienne corde qu’on doit tisser la nouvelle, cette quatrième mandature doit chercher à affiner ce qui a été fait tout en privilégiant la démocratie locale, une communication plus active à l’endroit de la population. Quand je prends le budget participatif, on veut désormais que le conseil descende au niveau de la population  pour expliquer de fond en comble de quoi il s’agit tout en les responsabilisant.

Merci cher doyen, pleine santé à vous !!!

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