- Vous perdez suffisamment de temps pour faire publier votre plan de passation…
- On reçoit souvent les Bordereaux de Transfert de Ressources (BTR), mais les liquidités ne sont pas disponibles pour effectuer les paiements…
- Le projet COSO est largement responsable de ce taux élevé de report de crédits et de cette faible consommation…
- À l’heure où nous parlons, les communes n’ont pas encore reçu un seul franc du FADeC investissement 2024.
La note de conjoncture des finances locales du Bénin pour le deuxième semestre 2024, publiée par la Direction générale du Trésor et de la Comptabilité publique en juillet 2024, continue de choquer l’ensemble des Béninois. Sur le banc des accusés : les Secrétaires exécutifs, ordonnateurs des budgets, qui, du côté des dépenses d’investissement, n’ont consommé que 6,44 milliards FCFA, soit seulement 3,79 % des prévisions annuelles. C’est la troisième année consécutive que, malgré les réformes, les communes affichent de telles contre-performances. Le maire de Kpomassè aurait-il eu raison ? Dans un entretien exclusif avec un SE, actuel ordonnateur du budget d’une commune, l’Hebdomadaire Le Municipal décrypte le sujet. Très à l’aise sur la thématique, il a auparavant occupé les fonctions de Directeur des Services Techniques (DST) et de Personne Responsable des Marchés Publics (PRMP). Il a requis l’anonymat par crainte de représailles, déclarant : « Malgré toutes ces difficultés, certains estiment encore que c’est un bon schéma et que ce sont des acquis à consolider. »
Le Municipal : Bonjour, Monsieur le SE. J’ai déjà échangé avec un spécialiste des finances locales, un expert en passation de marchés et un maire. Il ne me restait plus qu’à discuter avec un Secrétaire exécutif pour identifier précisément où se situe le problème. Initialement, je trouvais inadmissible l’inefficacité des communes et de leurs donateurs. Mais à force d’investiguer, j’ai compris que la difficulté est ailleurs. Selon vous, quelles sont concrètement les entraves à la consommation des fonds alloués par l’État ?
Secrétaire exécutif : Si l’on se réfère au diagnostic de l’état de gouvernance des communes qui a conduit à la réforme du Code de l’administration territoriale en 2021, on constate qu’auparavant, les ressources étaient bien envoyées aux communes, et le problème n’était pas tant la faible consommation, mais plutôt une gestion peu orthodoxe des finances publiques. Certes, les dépenses ne respectaient pas toujours les normes, mais elles étaient réalisées. Avec l’arrivée des nouvelles réformes et le déploiement des cadres pour encadrer la gestion des collectivités, la dynamique a changé.
Les Secrétaires exécutifs ont pris fonction en avril 2022. Le temps d’approfondir l’état des lieux et de définir des stratégies efficaces, nous étions déjà en 2023. Puis, une autre réforme est intervenue. Par exemple, le 23 août 2023, le ministre de l’Économie et des Finances a instauré une directive rendant obligatoire l’intégration du contrôle financier dans les communes.
Même au niveau national, où le contrôle financier est présent, la collaboration n’est pas toujours fluide pour l’exécution des dépenses publiques. À l’échelle communale, la situation est encore plus complexe. Tout doit passer par un contrôleur financier, sans lequel aucune dépense ne peut être engagée. Or, la Direction nationale du contrôle financier ne dispose pas d’assez d’agents pour couvrir toutes les communes. Résultat : un agent peut être chargé de surveiller deux ou trois communes en même temps, et chaque décision d’exécution budgétaire dépend de sa disponibilité. Lorsqu’il est convoqué au niveau national pour un CODIR, tout est bloqué dans les communes concernées.
Selon la note de conjoncture, cette baisse de consommation des crédits serait due aux difficultés rencontrées par les communes dans l’appropriation du système de costing par le référentiel SICOREF.
C’est un faux problème. Le SICOREF n’empêche en rien la mise en œuvre des plans d’investissement annuels. C’est un outil qui nous a été présenté, nous avons été formés à son utilisation, et nous savons ce qu’il faut faire.
Alors, où se situe le véritable blocage ? Est-ce uniquement lié à la lenteur du contrôleur financier, ou y a-t-il d’autres facteurs ?
Plusieurs autres éléments entrent en jeu : D’abord le contrôle des marchés publics
Lorsque les communes élaborent leurs plans de passation des marchés publics, elles doivent les soumettre à la Direction départementale du Contrôle des marchés publics avant leur publication sur la plateforme SIGMAP. Ce processus prend un temps considérable, car après une première étude, des observations sont faites, puis corrigées, avant d’être renvoyées pour validation nationale. Ce va-et-vient peut s’étendre sur plusieurs mois, empêchant ainsi l’exécution des projets à temps. Ensuite les autorisations des structures centrales.
Pour certains projets, comme ceux liés à l’eau, il faut attendre l’avis de l’Agence nationale d’approvisionnement en eau potable en milieu rural (ANAEPMR). Entre l’envoi physique du courrier et le retour de validation, de longs délais s’imposent, ralentissant l’exécution des investissements. Par ailleurs, le code de passation des marchés public est problématique.
L’actuel code favorise parfois des entrepreneurs peu qualifiés, qui remportent des marchés grâce à des critères purement financiers mais sont incapables de les exécuter correctement. Les administrations se retrouvent donc à multiplier les rappels à l’ordre et mises en demeure, ce qui retarde encore plus la consommation des crédits et enfin l’absence de liquidité.
Nous recevons souvent les Bordereaux de Transfert de Ressources (BTR), mais les fonds ne sont pas immédiatement disponibles. Pour l’année 2024, par exemple, les communes n’ont toujours pas perçu le FADeC investissement. Or, avec les délais de passation de marchés (au minimum trois mois), il devient impossible d’exécuter les projets dans l’année.
Pourtant, la note de conjoncture précise que « tout comme au deuxième trimestre 2023, les communes ordinaires ont bénéficié de la majeure partie (3,7 milliards FCFA, soit 91,4 %) des subventions transférées au deuxième trimestre 2024. »
C’est une illusion comptable. Dans ma commune, par exemple, les fonds FADEC non affectés ont été intégralement engagés. Nous attendons de nouvelles ressources pour poursuivre l’exécution des projets.
Comment êtes-vous évalués, sachant que vous avez des obligations de résultats ?
Nos performances sont évaluées sur des critères parfois déconnectés des réalités du terrain. Si les fonds arrivent en novembre et que nous devons respecter les délais de passation des marchés, nous ne pouvons pas les consommer dans l’année. Cela impacte artificiellement nos résultats. Concernant le projet COSO, c’est un autre problème. Il repose sur un modèle où les communautés locales sont censées gérer directement les fonds et passer les marchés. Mais elles n’ont pas toujours les compétences requises. En 2023, une grande partie des ressources transférées aux communautés n’a pas été consommée. En 2024, on recommence avec le même schéma, ce qui gonfle mécaniquement les crédits non consommés.
Un mot de la fin ?
La situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut revoir certains mécanismes et alléger les procédures pour rendre les communes plus efficaces dans l’exécution de leurs budgets d’investissement.