rédation des ressources fiscales des communes : “Chaque camp voulait son homme à la tête de la structure. Des profils taillés sur mesure ont été élaborés… ” dénonce Kassimou LABO GOUMBI

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Le pari du développement des communes tant prôné par le Chef de l’État, Patrice Talon restera un vœu pieux. Si la gestion des ressources transférées aux communes semble difficile à siphonner, les ressources propres demeurent la chasse gardée d’agents et d’élus communaux. Pour dire : la rupture doit s’attaquer à l’axe du mal. Dans un entretien accordé à l’Hebdomadaire Le Municipal, Kassimou LABO GOUMBI, Ingénieur agroéconomiste, élu local dans la commune de Malanville, partage avec vous l’expérience de sa commune natale, les combats menés, les échecs connus et les grandes recommandations pour endiguer le phénomène de précarisation de ressources propres des communes.

 

Le Municipal : Malanville abrite le deuxième plus grand marché du Bénin, une niche économique importante pour booster l’économie locale. Malheureusement, cet immense atout ne transparaît sur cette grande commune qui manque d’infrastructures socio-économiques de base. D’abord comment vivez-vous la fermeture des frontières avec le Niger, précisément en ce qui concerne ce marché ?

Kassimou GOUMBI : Le marché de Malanville est un marché international, il est animé non seulement par les usagers résidents à Malanville, ceux de l’intérieur du Bénin, mais aussi et surtout par des étrangers : les Nigériens, les Togolais, les Ghanéens, les Nigérians, les Burkinabès …

Les échanges se font majoritairement par cette Route Inter-Etats fermée depuis Août 2023. Les impacts sont énormes : l’animation du marché a pris un coup du fait de l’absence de plusieurs usagers. Le secteur des produits vivriers est la locomotive des autres secteurs. Malheureusement, les produits vivriers sont directement envoyés à Gaya par voie fluviale à travers des embarcadères sans transiter par le marché. Cette pratique a plongé le marché dans la mévente générale, car le nigérien ne vient plus à Malanville pour acheter les produits. Il s’ensuit une baisse des revenus des usagers et, par ricochet la baisse du paiement des taxes à la Mairie. Plusieurs pertes sont enregistrées dans l’utilisation de la voie fluviale : des barques motorisées chavirent régulièrement avec des centaines de sacs de vivres, des saisies sont opérées par les Forces de Défense et de Sécurité, et surtout des pertes en vies humaines.

Avant cette crise, quels constats avez-vous faits sur la gestion des ressources dans votre commune ?

Avant l’installation de la régie autonome du marché de Malanville, une étude conduite par la SNV sous le financement de la coopération suisse courant  2016-2017 a montré que plusieurs maux minaient le bon fonctionnement du marché ; on peut citer entre-autres : plus de 140 agents collecteurs, placés par les élus : chaque collecteur trouve son compte chaque soir et rend compte à son mentor ; l’absence de suivi et de contrôle ; l’absence d’évaluation ; le non-paiement des redevances par certains usagers ; la conservation des intérêts personnels et politiques ; l’utilisation de couvertures politiques pour se dérober du paiement des taxes par certains contribuables ; l’essai de plusieurs modes de gestion par la mairie qui ont échoué: la régie directe, l’affermage…. ; le manque d’assainissement ; la mauvaise orientation des recettes issues des recouvrements ; etc…

Au terme de cette étude, le conseil communal a opté pour une régie autonome pour la gestion de ce marché. Malgré l’installation de la régie autonome du marché de Malanville, le constat est que les recettes mobilisées ne financent que le fonctionnement de l’administration communale. Or, pour une commune à fortes potentialités comme Malanville, la Mairie ne devrait pas attendre forcément l’État central pour réaliser les infrastructures socio-économiques dans le sens de l’amélioration des conditions de vie des populations. Il se pose alors soit une mauvaise organisation pour le recouvrement optimal des ressources propres soit une mauvaise gestion de celles-ci. Il n’est pas rare de constater des accusations mutuelles entre acteurs: l’administration estime que les contribuables ne paient pas les taxes, tandis que les populations disent que l’administration ne fait pas bon usage des recettes mobilisées.

 

Avez-vous milité pour la mise en place d’une régie autonome ?

Oui, comme je l’ai annoncé plus haut, avec l’appui de la SNV à travers le Programme de Développement des Infrastructures Economiques et Marchandes (PDIEM) financé par la coopération suisse, le conseil a choisi comme mode de gestion du marché international de Malanville : une régie autonome depuis 2016. Cette régie a démarré ces activités en 2018. Elle a fait ses preuves au démarrage en multipliant les recettes autres fois recouvrées par trois voire quatre. Mais, la politisation à outrance a influencé les performances de cette jeune structure qui peine à donner satisfaction aux populations depuis un bon moment.

Avez-vous rencontré des résistances politiques ou sociales ?

Oui, des tensions politiques ont été observées depuis la mise en place de l’unité technique. Chaque camp voulait  son homme à la tête de la structure. Des profils taillés sur mesures ont été élaborés pour choisir le responsable. Des écris de dénonciations se sont suivis, les voix se sont levées mais, nous observons le statu-quo.

Comment gérez-vous les tensions autour de la transparence ?

L’implication des partenaires qui ont contribué à la mise en place de la structure, les actions de l’intercommunalité, de l’Etat central à travers les Ministères des finances et de la Décentralisation et bien d’autres instances locales dont la société civile pourront permettre d’instaurer un minimum de transparence. C’est ce que je souhaite en tout cas.

Le contrôle externe est-il suffisant selon vous ?

Le contrôle externe se fait par la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Public représentée par la Trésorerie Communale, les inspections des Ministères de la Décentralisation et des Finances et l’inspection générale de l’Etat. De toute évidence ces contrôles ne sont pas suffisants puisque le problème perdure.

Quel bilan tirez-vous de votre expérience sur la mise en place des régies autonomes dans votre commune ?

La mise en place de la régie autonome a permis d’améliorer un peu les performances du marché. En effet on note un accroissement des recettes même si le potentiel n’est pas atteint ; la proximité de l’administration avec les usagers ; la disponibilité des statistiques pour l’aide à la prise de décision ; un début d’entretien et d’assainissement (à ce niveau il reste encore à faire). Toute cette performance a été plombée par la politisation à outrance de la gestion de la régie.

Quelles perspectives tracez-vous pour améliorer la gouvernance locale ?

Un audit général et rigoureux de la gestion qui a été faite de la régie autonome du marché de 2018 à nos jours; la dépolitisation du système de mobilisation; la prise de décision forte dépourvue de toute visée politique conformément aux résultats de l’audit; le contrôle permanent suivi de sanctions positives et négatives; mettre celui qu’il faut à la place qu’il faut; sensibiliser constamment les populations; définir une clé de répartition des ressources mobilisées (fonctionnement et investissement); évaluer régulièrement les performances des acteurs; impliquer les élus et la société civile dans la mobilisation des ressources et procéder régulièrement au renforcement des capacités des acteurs.

Interview réalisée par Irédé David R. KABA

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