Voyage d’étude sur la mobilisation de ressources au bénéfice des collectivités territoriales et la péréquation financière au Rwanda: Des maires et cadres de l’administration financière centrale et locale à la découverte des pratiques innovantes et inspirantes du Rwanda en matière de décentralisation financière.

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Depuis quelques années, le processus de décentralisation au Rwanda est présenté comme un modèle ayant fortement contribué au développement spectaculaire de ce pays. Pour faire bénéficier l’expérience du pays de Paul Kagamé à certains pays de l’Afrique de l’Ouest, la Coopération Allemande, à travers le Programme de renforcement des compétences régionales en matière de décentralisation – Afrique de l’Ouest, a initié un voyage d’étude sur la mobilisation de ressources au bénéfice des collectivités territoriales et la péréquation financière au Rwanda. Maires de communes, cadres de l’administration des finances nationales et locales et certains experts du Bénin, du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal, du Togo et du Conseil des Collectivités Territoriales de l’UEMOA se sont joints aux responsables du Programme régional pour aller à la découverte de cette expérience rwandaise du 5 au 9 février 2018. Malgré l’existence de plusieurs points de convergences, les leçons apprises au Rwanda  ont été très édifiantes. Le plus grand défi reste leur appropriation et leur contextualisation dans le cadre du processus de relecture des textes de la décentralisation encours au Bénin.

 

Sakinath KABA

 

L’occasion a été donnée aux participants au cours de la 1ère journée, de suivre des présentations faites par les cadres du MINECOFIN (Ministère de l’Economie et du Plan), du MINALOC (Ministère de la Gouvernance Locale) et de la RALGA (Association des Pouvoirs Locaux Rwandais) sur la décentralisation financière, le mécanisme des transferts verticaux ainsi que le rôle et l’implication de la RALGA aux côtés des Districts dans la défense de leurs intérêts. Après cette phase introductive, la délégation ouest africaine a visité les districts de Musanze, Bugesera et Gasabo pour des échanges pratiques.

La mission a constaté l’existence de plusieurs points de convergence entre le Rwanda et plusieurs pays de l’UEMOA (comme l’existence d’un corpus de textes juridiques dont la Constitution, les lois et les règlements organisant la décentralisation, mise en œuvre d’une politique de décentralisation et de déconcentration, les ressources financières des collectivités territoriales sont composées de ressources propres et de produits du transfert), mais aussi permis de retenir certaines leçons clés pour une réussite de la décentralisation financière.

lonté politique

  • Engagement politique de haut niveau porté par le PR et les hautes autorités du pays illustré par la signature d’un contrat d’objectif entre le Président de la République en personne et chaque Maire de district avec une évaluation en fin d’année budgétaire pouvant engager la responsabilité du maire si les performances ne sont pas atteintes. …
  • Réduction du nombre de Districts/ collectivités par regroupement. Ils passent de 106 à 30 entre 2001 et 2006 pour tenir compte de la visibilité des districts ;
  • Affirmation des districts comme espace de mise en œuvre des politiques publiques ;

Décentralisation financière

  • Rôle stratégique du MINECOFIN dans la coordination du processus de décentralisation financière, et la veille pour une cohérence entre les cadres programmatiques Etat central et Entités décentralisées,
  • Indexation automatique des dotations globales de transfert sur les recettes propres de l’Etat (fixées par une loi) ; ce qui renforce la prévisibilité des recettes au niveau des Districts,
  • Transfert d’environ 15% des recettes intérieures de l’Etat de l’exercice budgétaire de l’année précédente aux communes (qui sont des districts au Rwanda), non compris les ressources transférées par les ministères sectoriels aux collectivités locales.
  • La délégation ouest-africaine a pu toucher du doigt certaines réalités qui expliquent les performances du Rwanda.

Cohérence et volonté politique dans la mise en œuvre de la décentralisation au Rwanda.

L’expérience rwandaise démontre bien que le problème du Bénin n’est pas si tant l’existence des textes et des politiques, mais leur réelle mise en application. Des échanges et des visites de terrains effectués par les membres de la délégation, il ressort que la décentralisation au Rwanda est portée par le Chef de l’Etat en personne. C’est pour cette raison que les objectifs annuels de développement sont retenus ensemble avec les collectivités locales sur la base des ressources à transférer et consignés dans le contrat d’objectif. A travers ce contrat d’objectif, le maire et les agents du district font l’objet d’une évaluation annuelle. De même, les taux des allocations de l’Etat vers les collectivités locales sont inscrits dans une loi et font l’objet d’une programmation bien planifiée. Il existe une planification locale au niveau des districts mais les investissements à réaliser sont négociés à l’avance lors des séances de planification entre le gouvernement et les districts.

De cette Mise en œuvre effective de la politique de décentralisation au Rwanda, il ressort également que les administrations centrales (ministères) ont trois missions essentielles à savoir : la définition de la politique sectorielle et les orientations qui en découlent, le renforcement de capacités des acteurs et le Suivi-Evaluation de la mise en œuvre de cette politique au niveau local. Le volet opérationnel des politiques publiques est souvent délaissé aux collectivités locales. Les ressources financières destinées à la réalisation des projets de compétences locales sont  transférées aux districts et exécutées entièrement par ces derniers qui disposent d’un personnel de qualité. Les districts sont reconnus par l’Etat et tous les acteurs comme les seuls espaces de territorialisation de la mise en œuvre des politiques publiques, de la réalisation des infrastructures sociales, économiques dans le pays. Il n’existe pas de concurrence entre l’Etat et les collectivités locales, mais une complémentarité doublée d’une synergie d’actions. Au Rwanda, la promotion du développement économique local se fait à travers la création des unités industrielles locales.

L’organisation de la démocratie locale au Rwanda.

Sur ce plan, les deux pays présentent des similitudes et conservent l’autonomie financière à un seul niveau de décentralisation. Au Rwanda, il existe un seul niveau de déconcentration, la province. Ils ont quatre provinces, l’équivalent des départements au Bénin, dirigées par des gouverneurs, dont les équivalents au Bénin sont les préfets. Le Rwanda c’est 30 collectivités locales (districts) contre 77 communes au Bénin. A l’intérieur des districts on dénombre 416 Secteurs contre 546 arrondissements au Bénin et 2150 cellules et Villages contre 5295 villages et quartiers de ville au Bénin. Le secteur est dirigé par un organe exécutif de trois membres. Le processus de planification locale annuel est ascendant et participatif : village – cellule – secteur – District. L’Etat ne transfère de ressources financières qu’aux districts qui sont responsables devant lui. Seulement, les districts, pour plus d’efficacité,  peuvent transférer, à leur tour, des ressources aux entités infra districts mais demeurent redevables devant le gouvernement.

Le maire qui est le président du Conseil de district et deux autres élus. Mais au Rwanda, si les élus décident des politiques locales, le Secrétaire exécutif, pourtant recruté par le Conseil de district est l’ordonnateur principal du budget. Cette nette séparation des fonctions politiques du Maire de celle d’ordonnateur du budget assurée par le secrétaire exécutif du District permet aux cadres techniques de mettre en œuvre les politiques et actions retenues en marge de toutes considérations politiciennes.

Dans les collectivités locales, il est affiché les informations détaillées sur les services offerts, les types de prestation, le coût de la prestation, le délai de délivrance du service et la personne responsable du service. De même, il est affiché les identités et les contacts des agents locaux dans les guichets uniques (regroupement des services techniques – one stop center) pour l’accès efficace des citoyens aux services de base.

Dans cette démocratie en construction au Rwanda, il existe une stratégie efficace et permanente d’information et de communication avec les citoyens à travers les assemblées générales hebdomadaires qui regroupent citoyens et dirigeants de district. Prévu par les Textes, obligatoire dans tous les Districts, ces rencontres sont des moments d’échanges autour des politiques et actions encours. Elles permettent de recueillir les préoccupations des citoyens…

Formidable cadre de participation citoyenne, c’est dans ce contexte que s’opère l’une des meilleures décentralisations financières de l’Afrique.

 

Une décentralisation financière inclusive

Le voyage d’étude a révélé que l’Autorité du Développement Local dont le sigle en anglais est LODA (Local Development Authority) joue un rôle important dans le financement de la décentralisation. Elle est l’équivalente de la CONAFIL (Commission Nationale des Finances Locales) et centralise et administre  tout ce qui est appui financier  extérieur destiné aux collectivités locales. Elle a la responsabilité de vérifier la cohérence entre les projets locaux avec les Stratégies de développement et assure le Suivi-Evaluation et l’audit des projets. Les collectivités territoriales au Rwanda ont accès à l’emprunt avec la garantie de l’Etat. Le Rwanda applique une formule de péréquation simple, équitable, prévisible et ancrée sur les ressources nationales avec des coefficients de pondération. Le système de péréquation, un peu comme au Bénin est basé sur le nombre de secteurs par district, le niveau de pauvreté et la densité (population et superficie).

La décentralisation financière est régie au Rwanda par une loi qui fixe les taux de transfert. Sur le plan fiscal, on note l’implication    de l’office Rwandais des recettes dans la mobilisation des taxes et impôts locaux. Le secteur privé y joue également un rôle important. Une unité de collecte des impôts et taxes existe dans chaque District et les objectifs de mobilisation des ressources locales sont déterminés de manière concertée entre l’unité de collecte des impôts et taxes et chaque district sous la houlette de l’Association des autorités locales du pays. La gestion locale, en plus du suivi-évaluation des projets, fait l’objet d’audit interne et externe avec un Système fiscal qui promeut l’environnement des affaires. Les réformes du Doing business sont également appliquées au niveau local. Les citoyens, forts des mécanismes de participation, cultivent le civisme fiscal et l’acceptation de l’impôt. Il n’est pas surprenant qu’avec une telle décentralisation financière, des emplois et la richesse soient créées au niveau dans les Districts, facilitant la perpétuation du cercle vertueux de lutter efficace contre la pauvreté.

 

Dans cet océan de réussites, les participants au voyage d’étude ont pu noter le rôle important que joue la RALGA, l’association des collectivités locales du Rwanda, l’équivalent de l’ANCB au Bénin. Les districts contribuent fortement au budget de la RALGA qui dispose d’un centre de formation du personnel des collectivités locales. La RALGA centralise également le recrutement du personnel des collectivités locales dont la procédure est filmée pour faciliter les vérifications en cas de contestation.

 

Sur le plan de la gestion du foncier, on observe une immatriculation de tous les contribuables et de toutes les terres du pays. L’existence du cadastre national est une réalité,  La gestion domaniale informatisée est assurée par les collectivités territoriales grâce à un logiciel intégré au réseau national.

Enfin, le Rwanda promeut les villes smart grâce à l’utilisation des TIC. Informatisation et existence du guichet unique du foncier, système d’information et de communication efficace à travers le maillage de tout le territoire en fibres optiques, utilisation des TIC dans la collecte des impôts, ce qui en assure la transparence. L’absence de manipulation de l’argent liquide, réduit les tentations et les risques de corruption.

Le voyage est fait, les participants sont revenus impressionnés par ce qu’ils ont vu sur place. Les prochaines étapes de cette activité sont les suivantes :

  • Restitutions de chaque participant à sa structure de base ;
  • Restitution des leçons apprises à un groupe élargie d’acteurs du processus de décentralisation au Bénin (PFT – MDGL – ANCB – MEF – MSECT etc).

C’est à l’issue de cet atelier de restitution prévu pour mi-mars que les acteurs béninois pourront formuler des recommandations et définir des activités concrètes à mettre en œuvre afin de promouvoir une décentralisation financière plus efficace au Bénin.  Une bonne stratégie de plaidoyer portée par l’ANCB devrait permettre de :

  • partager ces résolutions avec le Président Patrice Talon ;
  • contextualiser certaines leçons apprise et bonnes pratiques et de les intégrer aux réflexions dans le cadre de la relecture des textes de la décentralisation.
  • atteindre une décentralisation financière tout au moins aux normes de l’UEMOA.

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