Dossier Spécial 15 ans de Décentralisation au Bénin: Des pistes d’actions pour une décentralisation porteuse de démocratie et de développement à la base
Blaise AHANHANZO GLELE, Maire depuis 2003, ancien président de l’ANCB
Je souhaite que l’Etat accompagne les efforts à la base pour que nous allions à 100% de la réalisation des enjeux de décentralisation
Monsieur le président, vous étiez à l’origine de la mise en œuvre du processus de décentralisation. Quinze ans après, quels sont vos impressions ?
J’ai fait partie effectivement des artisans de la formation du processus de décentralisation dans notre pays et de sa mise en œuvre parce que je fais partie aussi des premiers maires de la décentralisation. Ce que je peux dire aujourd’hui comme bilan est simple : même si le pouvoir local n’est encore à 100% dans la main des élus locaux, un grand pas dans ce sens a été fait. Je peux vous dire qu’à travers la vivacité de nos villes, à travers la transformation qu’elles ont subi, la modernisation de l’administration communale et le pouvoir réel des élus locaux, on voit qu’à l’instar des autres pays de la sous-région, le Bénin a fait un grand pas dans le domaine de la décentralisation. Et c’est cela qui m’enchante aujourd’hui. Nous avons aujourd’hui toutes les structures faîtières que ce soit au niveau local, départemental que national. Les communes prennent beaucoup d’initiatives qui méritent d’être soutenues par l’Etat. C’est un pas géant et je souhaite que l’Etat accompagne les efforts à la base pour que nous allions à 100% de la réalisation des enjeux de décentralisation. Les communes doivent avoir véritablement tous les pouvoirs surtout financiers pour aller de l’avant.
Entretien avec Urbaine Dégbéhoundé, maire de Toffo
« Jusque-là, nous n’avons pas dépassé jusque-là les 4% de transfert de l’Etat aux communes »
Le 8 février, le Bénin aura fait quinze de décentralisation. Quel bilan pourriez-vous faire de ce processus-là ?
Je crois que quinze ans de décentralisation, c’est vraiment important. Si dans la vie d’un être humain cela est grand à plus forte raison dans la vie d’une nation. Donc le bilan est tant positif que négatif. En tout cas à la base, les populations ont compris maintenant que la gestion de la cité est leur affaire. Au lieu d’attendre tout, elles ont compris qu’il faut se sacrifier pour le développement de sa localité. Aussi, en matière d’élus que nous sommes, lors de la première mandature, il n’y avait quatre femmes maires. Mais à la deuxième il y a eu mandature une seule femme maire et aujourd’hui pour la troisième mandature nous avons trois femmes maires sur 77. Ce n’est pas encore ce que nous espérons mais c’est déjà un pas. Je le dit toujours : la gestion de la cité n’est pas l’affaire des seuls hommes. C’est aussi l’affaire des femmes que nous sommes. Il faut qu’au moment venu, nous femmes, nous nous mettons dans la danse pour apporter notre touche au développement de nos communes. Toutefois le bilan est par ailleurs négatif. Parce que les textes sont caducs. Il faut une relecture de ces textes. Vous avez vu le phénomène de destitution tout azimut des maires dans nos communes. On ne regarde même plus ce que prévoient les textes. Il suffit de se réunir, que le quorum soit atteint et la destitution est mise en branle. Je prends l’exemple d’une même commune où il y a déjà trois destitutions. Dans ce cas-là qui perd ? C’est le développement de la commune qui est hypothéqué. Nous avons élaboré et adopté la PONADEC. Car ce qui est dit dans ce document n’a rien à voir avec ce qui se passe sur le terrain. Les ministères doivent organiser les transferts, mais rien ne se voit sur le terrain. Donc j’avais dit en en présence du ministre de la décentralisation, que selon la PONADEC, en 2018 nous devrions déjà attendre un taux élevé de transfert de ressources aux communes. Mais nous n’avons pas dépassé jusque-là les 4%.
Quel est votre appel à tous les acteurs pour améliorer la décentralisation ?
Il faut que tout le monde puisse se lever pour que le développement des communes soit réel. Aujourd’hui si on doit encore tout attendre des partenaires, c’est très grave. Il faut qu’on soit autonome. A Toffo tout n’est pas rose. Mais d’une façon ou d’une autre chacun doit contribuer au développement de la commune. Et nous y arriverons.
BOUKO Benjamin Georges, ex-maire de la commune de Kouandé
Il faut renforcer l’autonomie locale et en même temps la bonne gouvernance dans les communes
8 février 2003- 8 février 2018, quel bilan peut-on faire des 15 ans de décentralisation au Bénin ?
BOUKO Georges : Les points saillants du bilan de 15 ans de décentralisation au Bénin se traduisent à travers les éléments ci-après :
- La promotion et l’exercice de la démocratie à la base à travers l’organisation et la tenue régulière des élections communales, municipales et locales ;
- La promotion et l’exercice de la mise en œuvre du processus du développement local et communal par les responsables librement élus par les populations elles-mêmes ;
- La responsabilisation des populations, des élus locaux et communaux face aux enjeux de l’aménagement du territoire, l’urbanisme et la gestion du développement ;
- La proximité des détenteurs du pour exécutif local avec les populations bénéficiaires ;
- La promotion et l’exercice de la veille citoyenne sur la conduite des actions de développement local et la gestion des ressources locales (financières, humaines et naturelles) : les populations deviennent de plus en plus exigeante en direction de leurs élus locaux sur les actions de développement ;
- Le boom (évolution rapide) de la réalisation et l’équipement des infrastructures socioéconomiques notamment les infrastructures scolaires, marchandes, sanitaire et d’urbanisme ;
- Le rapprochement des PTFs avec les acteurs de base du développement (communes, OPA etc) : financement direct des communes par les PTFs ;
- Le développement de l’esprit de participation financière au financement du développement local à travers le payement de la Taxe de Développement local (TDL) ;
- L’émergence de nouveau leader et élites politique à la base ;
- Etc
Pourquoi la décentralisation n’a pas forcément tenu la promesse des fleurs ? Pourquoi ?
Les raisons qui font que la décentralisation en quinze ans n’a pas forcément tenu la promesse des fleurs sont multiples et de divers ordres à savoir politique, culturelle, juridique et institutionnelle. Principalement, on peut évoquer les points suivants:
- Au plan politique: La faiblesse de la volonté politique des dirigeants au sommet de l’Etat. La décentralisation pour la majeure partie des dirigeants au sommet de l’Etat semble voir le processus de la décentralisation comme une imposition des partenaires techniques et financiers. On ne lit donc pas une volonté affiché et un engagement sérieux d’accompagner les communs et surtout les élus communaux (les maires en particuliers) et locaux à mieux jouer leur rôle dans la coordination et mise en œuvre du processus du développement local tel que prévus par les textes de la décentralisation.
- Au plan culturel: Les pesanteurs culturelles liées aux poids/importance des pouvoirs traditionnels dans les communes voir régions qui dans beaucoup cas créé des situations d’ingérence négative dans la vie/fonctionnement voir les activités de mobilisations de ressources (humaines, financières) locales des conseils communaux.
- Au plan structurel et institutionnel: A ce niveau, il faut noter les obstacles se portent :
- La faible maîtrise/appropriation des textes de la décentralisation par la majeure partie des acteurs clés de la décentralisation tels que : les élus communaux, locaux, les agents communaux, les services déconcentrés de l’Etat, les structure de la société civile surtout celle chargée de la veille citoyenne. Ceci se traduit par une faible voir manque de synergie d’action dans la conduite des actions de développement, le mauvais fonctionnement des commissions et du conseil, la mauvaise interprétation des activités des communes par des cadres éclairer parfois les populations, etc
- La faible compétence de bon nombre d’agent communaux au regard de la mature et de l’importance de la mission et des compétences dévolues aux communes ;
- L’absence d’un statut claire pour les agents communaux ne facilitant pas dans certains cas une gestion efficiente du personnel ;
- La forte politisation du fonctionnement de la majorité des conseils communaux et même des fois dans la gestion du personnel communal;
- Le faible accompagnement des communes par les différents ministères sectoriels. Ceci est dû à la non mise en œuvre de la PONADEC. Très peu de ministères sectoriel dispose d’un Plan de de Déconcentration et de Décentralisation. En dehors du Ministère en Charge de l’eau et celui en Charge de l’Enseignement Maternel et Primaire. Ceci n’est que la conséquence directe du manque de volonté politique des dirigeants au sommet de l’Etat. De ce fait, très peu de cadres des services déconcentrés de l’Etat au niveau commune entretiennent des relations fonctionnelles avec les administrations communales voir les Maires tel que prévus par les textes de la décentralisation. Non pas, par manque de volonté dans certains cas, mais surtout pas l’absence voir la méconnaissance des documents d’assistance conseil aux communes de leurs ministères sectoriel ;
- Etc
- Au plan juridique : A ce niveau, il faut noter qu’il y a encore des aspects de la décentralisation qui s’ouvrent de l’insuffisance des textes et qui conduisent soit à des abus du pouvoir par l’Etat central sur les Maires, communes ; soit à de la mauvaise gestion des ressources humaines voir financières par certains Maires. Ceci se traduit par des crises de confiance qui porte préjudice à la performance des communes en matière soit de mobilisation des ressources humaines et financières ; soit à la bonne exécution des actions retenues.
Ces quinze ans interviennent dans un contexte de méfiance entre le pouvoir central et les gouvernements locaux. Que faire selon vous pour renforcer l’autonomie locale et en même temps de bonne gouvernance dans les communes ?
Cette situation qui est déplorable est la conséquence manifeste du manque de volonté politique de la majeure partie des gouvernants au niveau central à accompagner la mise en œuvre de la décentralisation par les gouvernements locaux. Beaucoup de cadre de ce faite diabolise les gouvernants locaux toutes les fois qu’une autorité locale fait preuve de mauvaise gestion, ou preuve de mauvaise interprétation des textes de la décentralisation. Alors que l’Etat central devrait pouvoir créer les conditions nécessaires pour créer une synergie d’action entre gouvernants locaux et ceux de l’Etat central.
Ainsi donc pour renforcer l’autonomie locale et en même temps la bonne gouvernance dans les communes il serait nécessaire de :
- Amener tous les Ministères sectoriel non seulement à disposer d’un Plan de Déconcentration et de Décentralisation ; mais aussi et surtout à mettre en œuvre ce plan et mettre à la disposition des services déconcentrés et des communes les outils appropriés à cet effet comme par exemple un guide d’assistance conseil aux commune de chaque Ministère sectoriel ;
- Créer et entretenir une ambiance de synergie d’action entre tous les acteurs ;
- Amener tous les acteurs clés de la décentralisation que sont les élus communaux, locaux, les agents communaux, les cadres des ministères sectoriels et ceux services déconcentrés de l’Etat, les structure de la société civile surtout celle chargée de la veille citoyenne à mieux s’approprier les différents textes et outils de mise en œuvre de ce processus pour une bonne synergie d’action;
- Amener les gouvernements locaux à promouvoir et faire preuve de bonne gouvernance à travers le respect des textes, la bonne gestion des ressources humaines, financières et matérielles ;
- Rendre plus fonctionnel les structures de la société civile en charge de la veille citoyenne ;
- Etc
Que faut-il faire pour que la décentralisation soit promotrice du développement local et de démocratie à la base ?
Pour que la décentralisation soit promotrice du développement local et de démocratie à la base il est extrêmement important que :
- Les gouvernants locaux fasses preuve de bonne gestion communales de manière permanente et continue à travers le respect des textes, la bonne gestion des ressources humaines, financières et matérielles ;
- Les gouvernants locaux fasses preuve de moins de gestion politicienne de la commune et de son admiration (fonctionnement du conseil et gestion du personnel) ;
- La réddition des comptes à la base soit plus intensifiée par les gouvernants locaux;
- Travailler à une meilleure participation des citoyens au processus de de la décentralisation et du développement local par la mobilisation des ressources de toutes nature ;
- Que la volonté politique des Dirigeants au sommet de l’Etat soit plus affichée et manifeste pour la mise en œuvre du processus de la décentralisation ;
- Que l’Etat central manifeste et développe une franche collaboration dans son accompagnement aux gouvernements locaux qui ne sont que son prolongement et leur transférer les ressources en conséquence ;
- L’Etat central puisse travailler en bonne symbiose avec les gouvernements locaux pour combler les insuffisances au niveau des textes et outils de mise en œuvre de la décentralisation ;
- Rendre obligatoire la conception et la mise en œuvre effective des PDD au niveau de tous les ministères sectoriels ;
- Travailler à une meilleur diffusion/vulgarisation et appropriation des textes et outils de la décentralisation par tous les acteurs ;
Cotonou, le 31 janvier 2018
MERCI
BOUKO Benjamin Georges, ex-maire de la commune de Kouandé (2eme Mandature) ; Ex-CHEF D’ARRONDISSEMENT DE FO-TANCE (1ère Mandature) 97-35-27-28/95-73-09-93 : Email : boukogeorges4@gmail.com