Conseil des ministres du 02 juin 2021 : Le Bénin, à la veille d’une réforme majeure des collectivités territoriales

(Les acteurs locaux ont-ils des raisons de soupçonner un agenda caché ? La réponse du Porte-Parole du gouvernement)  

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Conseil des ministres du 02 juin 2021

Le Bénin, à la veille d’une réforme majeure des collectivités territoriales

(Les acteurs locaux ont-ils des raisons de soupçonner un agenda caché ? La réponse du Porte-Parole du gouvernement)  

Pas moins de trois grands sujets liés à l’administration territoriale du pays étaient au cœur du conseil des ministres du 02 juin 2021, le premier du nouveau quinquennat après celui de prise de contact. Si la mauvaise nouvelle pour la gouvernance locale vient de la révocation du Maire de Bantè, la nomination des 12 préfets de département et l’annonce de grandes réformes de l’administration communales peuvent bien réjouir les acteurs de la décentralisation, pour peu que l’Exécutif renforce la libre administration des collectivités territoriales et accélère le transfert des compétences et des ressources aux gouvernements locaux en plein essor au Bénin.

Approbation des orientations essentielles de la réforme structurelle du secteur de la décentralisation.

Conformément à son projet de société de la présidentielle d’avril 2021, qui prévoit de grandes réformes pour le secteur de la décentralisation, le Chef de l’Etat n’a pas tarder à engager les chantiers de fond dont la décentralisation a besoin depuis les années 2006. En effet, à la suite du premier Forum d’évaluation des trois premières années de la décentralisation au Bénin, organisé par la Fondation Le Municipal, sous la présidence du Ministre Pascal Iréné Koupaki, sur financement de la coopération danoise, un premier diagnostic du processus de décentralisation a été fait. Ce diagnostic a été conforté par le Forum bilan de 2015. L’ensemble de ces documents ont alimenté le diagnostic du gouvernement et appellent à des réformes courageuses.

Un diagnostic sans appel

Selon le compte rend du conseil des ministres, « la décentralisation, effective depuis bientôt 20 ans, connaît des faiblesses qui impactent négativement le développement des communes. Les contre-performances relevées sont dues à plusieurs facteurs structurels dont la forte politisation des nominations aux fonctions techniques et administratives des mairies. Ce qui entrave la promotion d’une culture administrative moderne et professionnelle.

De même, les recrutements de personnels ne tiennent pas souvent compte de la compétence ni des besoins réels des mairies. Ainsi, en général, nos communes ne disposent pas de cadres ayant des compétences en adéquation avec les exigences techniques des postes qu’ils occupent.

En outre, malgré les sessions de renforcement de capacités et les contrôles assortis de sanctions, la mauvaise gouvernance persiste et des dysfonctionnements sont notés dans le processus de passation des marchés publics locaux.

Par ailleurs, les communes rencontrent des difficultés dans la mobilisation de ressources propres et connaissent, pour la plupart, des insuffisances dans la planification budgétaire.

L’approche de solution

Dans le but de promouvoir véritablement le développement local, le gouvernement veut « procéder à une réforme structurelle du secteur de la décentralisation. L’objectif de celle-ci est d’améliorer la gouvernance communale afin de créer une dynamique de valorisation des potentialités dont recèlent les communes. A cet effet, cette réforme doit obéir aux principes directeurs ci-après :

  • renforcer la séparation des fonctions politiques et techniques pour améliorer la reddition de comptes et lutter plus efficacement contre l’impunité ;
  • mettre en place un dispositif opérationnel de relai des services publics entre les niveaux central, communal et infra-communal ;
  • améliorer les mécanismes de financement des investissements communaux ;
  • créer des synergies d’action entre le conseil communal, ses démembrements, les associations de développement et les ONG.

Les propositions du président Patrice Talon dans son projet de société. 

  • « Le renforcement des capacités opérationnelles des communes en ressources humaines, en gestion des finances publiques, en actions publiques etc… pour une plus grande efficacité » des collectivités territoriales. La faible qualité des ressources humaines dans les communes plombe sérieusement leur capacité à promouvoir le développement et la démocratie, les deux enjeux de la décentralisation. Ce besoin se ressent avec acuité depuis le gel des recrutements et les nouvelles directives sur les organigrammes des communes. L’idée développée est toute simple. Soit l’Etat, le maître d’œuvre de la décentralisation, met à la disposition des communes des ressources financières pour recruter, sous son contrôle, des cadres communaux, soit l’Etat procède lui-même au recrutement ou transfère une partie de son personnel qualifié aux communes. La réalisation des ODD dont plus de 65% relève des compétences locales, nécessite davantage d’expertise dans maints domaines, dont ne disposent les communes actuellement. Celles qui disposent d’un niveau de ressources de fonctionnement permettant de renforcer le personnel ont entrepris des actions dans ce sens. L’objectif de la solidarité communale dont l’ANCB est porteuse est de généraliser la gestion de ce défi dans l’ensemble des communes et de façon durable.  Selon l’Etude sur « l’évaluation des besoins des communes pour une mise en œuvre réussie de l’Agenda 2030 », ANCB 2018, il est noté « un besoin de renforcement des capacités des communes du point de vue de la gestion stratégique et opérationnelle, du suivi-évaluation, des ressources humaines et matérielles, du financement du développement local, de la communication et du plaidoyer ».
  • « Renforcement du rôle des autorités communales dans la gestion des infrastructures publiques de leurs territoires». L’idée du Chef de l’Etat est de permettre aux communes d’intégrer la gestion des infrastructures réalisées par le Gouvernement sur leur territoire dans leur patrimoine pour en assurer l’entretien efficacement. Ce défi est très important en cette période de transition dans laquelle des agences gouvernementales mobilisent des ressources et interviennent dans le champ de compétence des collectivités territoriales. Cette action implique des ressources humaines, un dispositif matériel et technique impliquant le numérique et un transfert de ressources financières pour faciliter l’accomplissement de cette mission par les communes. 
  • La promotion de l’intercommunalité. La promotion de l’intercommunalité pour une meilleure prise en charge des problématiques communes (gestion des déchets, salubrité, assainissement, ressources en eau, éducation, etc.). Cette proposition est une très bonne nouvelle pour les acteurs de la décentralisation étonnés de voir des Agences s’arroger les compétences communales. Même si des ouvertures dans la loi peuvent justifier ces immixtions dans la gestion communale, elles sont pour le moins considérées comme un recul de la décentralisation pour le Bénin. Pour ne pas que le Bénin recule en la matière, la capitalisation de ces expériences nécessite la création d’intercommunalités pour leur gestion à court et moyen terme de ces compétences. Ainsi, les grosses Agences présidentielles et gouvernementales peuvent accompagner les communes dans le cadre de ces intercommunalités. De plus, le gouvernement gagnerait à revoir la loi sur l’intercommunalité au Bénin pour tenir compte des dynamiques en cours, faciliter la gestion commune de certaines compétences par les communes et affirmer la solidarité intercommunale.

Les points à préciser dans le projet de société du président Talon.

Le Chef de l’Etat sortant a formulé dans son projet de société deux propositions qui méritent d’être précisées. Il s’agit :

  • La réforme de la gouvernance locale à travers un réaménagement des rôles entre les élus et les personnels techniques d’appuis. Cette proposition n’est pas précise, encore moins le compte rendu du conseil des ministres du 02 juin 2021. Elle peut vouloir signifier que le gouvernement souhaite :
    • Revoir le mode d’élection du maire. On se souvient de cette proposition de l’ANCB qui souhaite que les maires soient élus au suffrage universel direct afin de mettre fin à leur responsabilité devant le conseil communal ou municipal qui ne pourra plus les destituer. Ce mode d’élection peut faire des maires, des présidents de gouvernements locaux et les éloigner des enjeux de participation citoyenne et de reddition de comptes.
    • Renforcer le maire dans ses fonctions politiques, président du Conseil communal ou municipal d’une part et le dessaisir des fonctions techniques dont celles de personne responsable des marchés publics. Ce débat existe depuis que des anciens maires ont souhaité qu’on débarrasse les édiles de nos communes de cette charge technique qui est à la base de remous de destitution. Des experts sont également allés dans ce sens, tirant leçon du modèle rwandais pour faire du Maire un responsable politique, le Président du Conseil délibérant et introduire un Directeur Général, Administrateur Général ou maintenir le Secrétaire Général actuel comme le chef de l’administration communale. En effet, c’est au niveau des communes seules qu’on observe le maire président de l’organe délibérant et à la fois chef de l’organe exécutif. Dans ce cas de figure, il est important que le maire soit l’autorité qui nomme et qui mette fin, sous certaines conditions aux fonction du SGM ;
    • Marquer davantage la différence entre les fonctions politiques autour du maire et les fonctions techniques incarnées par le Secrétaire Général sous l’autorité du maire. A ce niveau, le SG de la Mairie sera le véritable patron de tous les services administratifs et techniques de la mairie et le cabinet sera réduit à sa portion congrue. C’est ce qui ressort déjà dans les directives du ministre de la décentralisation et de la gouvernance locale sur l’organigramme des communes ;
    • Dans tous les cas, l’idée de base du gouvernement vise à marquer la séparation des fonctions politiques et techniques au sein de l’administration communale et renforcer la stabilité des fonctions techniques qui ne doivent plus être à la merci des désidérata politiques.
  • La création d’un fonds d’investissement qui viendra remplacer le fonds FADEC et permettra aux communes de disposer de capacités d’accès à d’autres sources de financement. Cette proposition qui figure dans le projet de société n’est pas revenue dans les lignes directrices annoncées par le gouvernement. Or, elle constitue un point important pour améliorer le niveau de transfert des ressources aux communes. La bonne nouvelle dans cette proposition dont une version embryonnaire a déjà circulé au cours du quinquennat en cours est que les communes peuvent accéder, sous le contrôle de l’Etat au marché financier. Ce qui leur garantie davantage de ressources et une obligation d’améliorer la gestion financière de la commune afin de crédibiliser sa signature. On peut donc s’attendre à ce que des agences de notation prennent en compte des communes comme c’est déjà le cas dans certains pays de la sous-région. L’autre défi sera de maintenir le nouveau fonds comme un organe de mobilisation des ressources en amont et un guichet de distribution en avale. Dans tous les cas, le Porte-Parole du Gouvernement, Wilfried Houngbédji l’a clairement indiqué, le gouvernement n’a jamais débattu, ni au cours du premier mandat, ni en ce début de mandat de la perspective de la création d’une agence pour gérer les investissements des Communes. Les textes vont être revisités, des propositions seront faites au gouvernement. A partir du rapport qui aurait été déposé des arbitrages vont être faits au niveau gouvernemental et le sens dans lequel ira la réforme sera suffisamment porté à la connaissance de l’opinion a rassuré le Secrétaire Général Adjoint du Gouvernement. 

La Révocation du maire de la commune de Bantè.

La révocation d’un maire doit toujours interpeller l’ensemble des acteurs du système de gouvernance locale car elle est révélatrice du chemin qui reste à parcourir avant de disposer d’une administration locale structurante et performante. Selon le compte rendu du conseil des ministres, l’administration de ladite commune se trouve paralysée depuis le 13 avril 2021 du fait de l’absence prolongée et non justifiée du maire Edmond Babalèkon LAOUROU qui, en dépit des rappels à l’ordre, n’a pas daigné rejoindre son poste ». Toujours selon « un compte rendu du ministre de la Décentralisation et de la Gouvernance locale, l’intéressé s’est rendu coupable de violation des règles de déontologie administrative, faits constitutifs de faute lourde. Or, la loi n° 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin dispose, en son article 54, que « le maire ou l’adjoint qui commet une faute lourde peut être révoqué de ses fonctions ». Aussi, conformément à cette disposition légale, le Conseil a-t-il décidé de la révocation du maire Edmond Babalèkon LAOUROU et instruit le ministre de la Décentralisation et de la Gouvernance locale aux fins de prendre les dispositions nécessaires pour pourvoir à son remplacement conformément aux textes en vigueur.

Les faits

Par arrêté signé à Cotonou le 12 mai 2021, le Ministre de la Décentralisation et de la Gouvernance locale a suspendu le maire de Bantè à l’issue d’une procédure pour faute lourde. Il lui est reproché la violation de l’un des éléments constitutifs de faute lourde à l’article 55 de la loi 97-025 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin : « Article 55 : Constituent des fautes lourdes, au sens de l’article ci-dessus, les faits ci-après :… – toutes autres violations des règles de déontologie administrative ». Le compte rendu du Ministre de la Décentralisation et de la Gouvernance locale au conseil des ministres lui aura été fatal, en conduisant à sa révocation. Deux blocs de reproches sont faits au maire révoqué. Il s’agit d’une part de son refus de collaborer avec le préfet et les forces de défense et de sécurité déployées dans sa commune pour mettre un terme aux manifestations violente orchestrées avant la présidentielle du 11 avril 2021. En réalité, la gestion des questions sécuritaires fait apparaître le dédoublement fonctionnel du maire qui passe d’autorité locale autonome en représentant de l’Etat, chef de service déconcentré de l’Etat et donc sous la subordination du préfet. Dans ce cas de figure, le maire est tenu de collaborer, voire de déférer aux instructions du préfet en matière de sécurité ou plus globalement de police administrative. Pour avoir résister à la collaboration sans un motif légal, le maire se met dans une position d’insubordination qui entre dans le cadre de la violation des règles de déontologie administrative. D’autre part, il est reproché au maire d’avoir abandonné l’administration communale depuis le 13 avril 2021. En réalité, l’absence d’un maire doit être organisée et un intérimaire désigné suivant la loi. Ce qui n’a pas été visiblement le cas du maire incriminé. L’autorité de tutelle peut bien déclencher la procédure pour faute lourde comme l’intéressé.

En dépit des éléments de fond susceptible d’entrainer une possible révocation de l’édile de Banté, la procédure est tout aussi importante en droit administratif.

Une procédure rondement menée par la préfecture et le Ministère en charge de la décentralisation.

Selon les dispositions de la loi 97-025 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin, « La faute lourde est constatée par l’autorité de tutelle qui après avis du conseil départemental de concertation et de coordination, créé par l’article 16 de la loi 97-028 portant organisation de l’administration territoriale en République du Bénin, en dresse rapport au ministre chargé de l’administration territoriale. Celui-ci peut prononcer la suspension du maire ou de l’adjoint et proposer le cas échéant la révocation au conseil des ministres ». Il se dégage de cette procédure les étapes suivantes :

  • Le constat de la faute lourde par le Préfet, autorité de tutelle. Ce constat a amené le préfet par intérim des Collines à adresser une demande d’explication au maire concerné ;
  • L’opportunité donnée au maire visé par la procédure d’en être informé et de fournir ses explications. La demande d’explication du préfet des Collines en date du 26 avril 2021 et la réponse du maire de la même date permettent de constater que ces deux premières étapes ont été observées dans la procédure.
  • La délibération du Conseil départemental de concertation et de coordination sur la question. Cette séance a eu lieu, selon les visas de l’arrêté du ministre, le 30 avril 2021 ;
  • Le Rapport du préfet au ministre chargé de l’administration territoriale, également visé par l’arrêté de suspension du maire, dans lequel la recommandation du Conseil départemental de concertation et de coordination visant à suspendre le maire a été transmis au ministre ;
  • La décision de suspension qui ne peut excéder deux mois, est assortie d’un compte rendu au Chef de l’Etat en conseil des ministres.

Pour mémoire, les articles 55 et 56 de la loi susvisée disposent ainsi qu’il suit : « Article 55 : Constituent des fautes lourdes, au sens de l’article ci-dessus, les faits ci-après :

  • utilisation des fonds de la commune à des fins personnelles ;
  • prêts d’argent effectués sur les fonds de la commune ;
  • faux en écritures publiques ;
  • refus de signer ou de transmettre, à l’autorité de tutelle, une délibération du conseil communal ;
  • vente ou aliénation abusive des biens domaniaux ;
  • toutes autres violations des règles de déontologie administrative.

Article 56 : La suspension prévue à l’article 54 ci-dessus a lieu par arrêté du ministre chargé de l’administration territoriale et la révocation par décret pris en conseil des ministres.

Toute suspension d’un maire ou d’un adjoint doit être précédée d’une audition de l’intéressé par le conseil départemental de concertation et de coordination visé à l’article 54 ci-dessus ou d’une invitation à fournir des explications par écrit audit conseil.

La suspension ne peut excéder deux mois. Passé ce délai, le maire ou l’adjoint suspendu est rétabli d’office dans ses fonctions ».

Le gouvernement nomme les Préfets du Bénin

Le Conseil des Ministres de ce mercredi 02 juin 2021 a procédé à la nomination de nouveaux préfets tout en confirmant certains. Voici, sur proposition du Ministre de la Décentralisation et de la Gouvernance Locale, les nouveaux préfets du Bénin :

Alibori : Monsieur Ahmed Bello KY-SAMAH

Atacora : Madame Déré L. M. CHABI NAH (confirmé)

Atlantique : Monsieur Jean-Claude CODJIA (confirmé)

Borgou : Monsieur Djibril MAMA CISSE (confirmé)

Collines : Monsieur Saliou ODOUBOU

Couffo: Monsieur MEGBEDJI H. Christophe (confirmé)

Donga : Monsieur Eliassou BIAOU AININ SOULEMANE (confirmé)

Littoral : Monsieur Alain Sourou OROUNLA

Mono : Monsieur Dêdêgnon Bienvenu MILOHIN

Ouémé : Madame Marie AKPOTROSSOU

Plateau : Monsieur Daniel Valère SETONNOUGBO (confirmé)

Zou : Monsieur Aimé Firmin KOUTON (confirmé).

Sakinath KABA

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