Gervais LOKO, Chargé de programme à ALCRER & PartiCiP:« L’information est un bien public dont l’administration est un simple gardien »

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Peut-on dire que les Béninois disposent d’un droit d’accès à l’information?

Oui, les Béninois ont ce droit et ce, depuis la Constitution du 11 décembre 1990. L’article 8 de la loi fondamentale fait de l’égal accès des citoyens à l’information une obligation pour l’Etat au même titre que l’accès à l’éducation, à l’emploi, etc. Et ce qui est une obligation pour l’Etat vis-à-vis de ses citoyens est un droit pour ces derniers. Les Béninois ont également, de façon indirecte, ce droit à travers l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui fait partie intégrante de notre Constitution. On peut encore citer d’autres textes comme le code de transparence dans la gestion des finances publiques ou les lois sur la décentralisation. Par exemple, le décret portant code de transparence est le tout premier texte, avant même le code actuel sur les marchés publics, à accorder au citoyen le droit d’accéder aux contrats entre l’administration publique et les entreprises.

Et qu’en est-il du Code de l’information ?

 Avec ce Code, c’est pour la première fois dans notre pays que l’affirmation du droit d’accès est suivie des modalités pratiques de son exercice. On a désormais une idée de la liste des documents qui sont accessibles ou inaccessibles, des voies de recours qui s’offrent au citoyen et des sanctions au cas où ce droit serait illicitement frustré par les agents publics.

Concrètement, quelles sont les modalités d’accès à l’information au Bénin ?

Par exemple, le législateur considère que tout citoyen peut consulter les documents sur place ou en demander copie, quelle que soit leur forme : écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée, etc. La demande peut être écrite ou verbale. L’accès aux documents est gratuit mais le requérant peut être amené à supporter les frais de photocopie ou de duplication du document demandé. Face à une demande d’accès à un document, l’administration a cinq jours pour répondre. La loi donne à l’administration la possibilité de demander une rallonge de trois jours supplémentaires.

Et lorsque l’administration refuse, que se passe-t-il ?

Lorsqu’elle refuse ou même lorsqu’elle garde le silence – ce qui vaut rejet implicite – le citoyen peut exercer des voies de recours. D’abord, il faut rappeler que lorsque l’administration refuse l’accès à l’information, elle doit nécessairement motiver sa décision. Dès que le citoyen reçoit cette décision ou du moment où il constate le silence de l’administration, il a cinq jours pour saisir la HAAC sous peine de forclusion. Selon l’article 105, la HAAC doit mener des actions de manière à faciliter la jouissance effective du droit d’accès et doit statuer dans un délai de 30 jours. Si la HAAC n’y arrive pas, le citoyen ou la HAAC elle-même peut saisir la Cour suprême. Il faut rappeler que lorsque l’agent public entrave indûment l’accès aux documents publics, il est puni d’une amende de 200 000 à 500 000 francs CFA. Lorsqu’il est coupable de dissimulation, de dissipation ou d’altération du contenu d’un document objet d’un recours en contestation d’une décision de refus d’accès, il encourt un emprisonnement de 3 mois à 1 an et une amende de 500 000 à 2 millions de francs CFA.

Est-ce que toutes ces dispositions sont respectées ?

Malheureusement non. D’abord, elles ne sont même pas bien connues. Ni l’administration ni les citoyens ne savent que le droit d’accès à l’information publique est encadré en termes de délai de réponse, de voies de recours et de sanctions. Une étude faite dans le cadre d’un mémoire de DESS auprès de 17 secrétaires généraux de ministère en 2016 a montré que 15 d’entre eux ne connaissaient pas les procédures d’accès à l’information publique au Bénin. La plupart des citoyens y compris les intellectuels voire les journalistes ne savent pas qu’ils ont le droit d’exiger l’obtention des documents publics. Cette situation d’ignorance généralisée entretient la violation du droit d’accès. Or l’accès à l’information est un droit de l’homme. Les Nations unies le considèrent comme un droit universel, inviolable et inaltérable de l’homme moderne. L’information est un bien public dont l’administration est un simple gardien. Et si nous la laissons agir sous le voile du secret, la lutte contre la corruption sera vaine tout comme l’exigence de redevabilité.

Que fait votre programme pour promouvoir le droit d’accès ?

L’ONG ALCRER et le Réseau Social Watch Bénin, à travers le programme PartiCiP financé par l’Ambassade Royale des Pays-Bas, font de la sensibilisation. En 2018, nous avons formé 961 personnes venues des OSC de nos Cellules de participation citoyenne (CPC) et 113 élus et cadres de l’administration communale sur les procédures d’accès à l’information publique. Chaque acteur sait désormais à quoi s’en tenir. En plus de la formation, nous travaillons à éprouver, sur le terrain, le dispositif d’accès à l’information. Nous amenons nos CPC à formuler des demandes d’accès à des documents comme le PDC, le budget communal, les comptes de gestion ou des rapports d’activités. Et je puis vous dire que les choses s’améliorent progressivement dans les communes. Nous faisons le même travail au niveau national pour tester le dispositif. Par exemple, nous avons ciblé un certain nombre de contrats dont nous avons demandé copie aux ministères. Mais aucun ne nous a répondus jusqu’à aujourd’hui. Nous avons saisi la HAAC qui, elle aussi, n’a pas réagi dans les 30 jours requis par la loi. D’autres dispositions sont en cours pour avoir gain de cause. Pour l’instant, il ne serait pas pertinent de les révéler ici.

Mais qu’est-ce qui bloque l’application de la loi ?

Il y a beaucoup de facteurs. D’abord, le positionnement du droit d’accès dans notre pays est problématique. Il est logé dans le code de l’information qui est connu pour être la loi des journalistes. L’objet du Code et la définition qu’on donne de l’information dans ce texte montrent clairement qu’il s’agit d’abord et avant tout d’une loi pour la presse. Et ce positionnement joue sur la visibilité du droit d’accès dans notre pays. Les gens ne savent pas que cette loi comporte des dispositions qui concernent l’ensemble des citoyens. C’est pourquoi nous soutenons l’initiative de WANEP-Bénin qui lutte pour l’avènement d’une loi spécifique. Mais notre conviction au niveau de PartiCiP, c’est qu’on ne va pas attendre la loi spécifique avant de profiter des facultés que nous offrent les textes actuels.

Ensuite, il y a une liste, selon moi un peu longue, des documents auxquels le citoyen n’a pas droit ou a droit au bout d’un certain délai. Par exemple, l’ordre du jour et les mémoires des délibérations du conseil des ministres ne sont accessibles au public qu’à l’expiration d’un délai de deux ans. Ça ne se comprend pas.

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