« La commune de Djougou se vide de ses bras valides, ce qui ne permet pas l’éclosion et l’explosion d’activités économiques, gages du développement social et économique », entretien avec Malick Gomina, maire de la commune de Djougou au Bénin

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« La commune se vide de ses bras valides, ce qui ne permet pas l’éclosion et l’explosion d’activités économiques, gages du développement social et économique », entretien avec Malick Gomina, maire de la commune de Djougou au Bénin

Malick Gomina est le maire de la commune de Djougou. Journaliste de profession, il est également docteur en communication environnementale. Actuellement, il assure le secrétariat général de l’Association nationale des communes du Bénin. Dans cette interview accordée à une équipe de Benin Politique, le maire aborde les enjeux sécuritaires qui sont intimement liés aux enjeux de développement dans sa belle commune de Djoubou.

Quelles sont les potentialités de la commune de Djougou ?

La commune de Djougou, chef-lieu du département de la Donga est située dans la partie septentrionale au Nord-ouest du Bénin. Djougou commune cosmopolite du Nord Bénin, troisième en matière de population et carrefour de l’espace CEDEAO, compte 12 arrondissements, dont trois urbains. Elle s’étend sur 3 966 km2 et compte une population estimée à plus de 327 184 habitants en 2020.

Région convoitée par les Allemands et Français, elle est finalement tombée dans l’escarcelle de la France. La région est située à 461 km de Cotonou capitale économique du Bénin, à 35 km de la frontière du Togo, à 550 km de Ouagadougou, à 667 km de Niamey, à 950 km d’Abuja, à 600 km de Lagos, à 1500 km de Bamako et à 2390 km de Ndjamena.

Chef-lieu du département de la Donga, Djougou présente d’énormes potentialités sur tous les plans. La Commune de Djougou dispose d’une bonne pluviométrie. Il y tombe 1 000 à 1 500 mm pour 75 à 140 jours de pluie. Il existe des ressources touristiques diversifiées (palais, forêts sacrées, forêts classées, massifs forestiers, pierres mystérieuses, marres, collines, nappes).

Les ressources naturelles dont la localité regorge sont entre autres les bas-fonds, barrages, retenues d’eau, ressources minières (sable, gravillon, latérite) et les sols argilo-sableux ou latéritiques favorables à l’agriculture.

A part l’agriculture, le commerce représente, par ordre d’importance, la deuxième source de revenus. Le transport constitue également une activité importante. Son développement se justifiant par la position de ville carrefour et de transit qu’occupe Djougou.  La commune de Djougou a une population majoritairement jeune.

Quelle est l’ampleur du phénomène migratoire à Djougou et quelles sont les mesures prises pour dissuader les jeunes de partir ?

La question de la migration dans la commune est un fait qu’on ne peut comprendre que si l’on se réfère au peuplement de la commune, d’une part, et de l’autre aux contingences sociopolitiques du Bénin.  En dehors des peuples autochtones qui étaient des peuples agraires et chasseurs, d’autres peuples sont venus s’établir.

Ce sont des usagers de l’ancienne route de la noix de cola qui sont, pour la plupart, des commerçants, ayant donc un goût prononcé pour l’aventure. À cette prédisposition sont venues s’ajouter les tracasseries administratives relatives aux travaux forcés et impôts per capita.

La conjugaison de ces deux facteurs a rouvert la route du Ghana, qui fut la première destination des migrants Djougois. C’est ce qui justifie le double constat de la présence d’une forte communauté de Djougou au Ghana, surtout à Accra, et de la présence des mots anglais dans le dendi de Djougou.

Des personnes issues de ces grandes familles comme les Fofana, Traoré, Touré, Mandè se sont reconvertis en transporteurs et ont conservé ce goût du voyage et de l’aventure de leurs aïeux. Si les travaux forcés et le paiement des impôts furent autrefois les motivations de migration, c’est plutôt le manque d’emploi et la précarité qui exercent aujourd’hui une forte pression sur les jeunes.

Ils voient dans les pays occidentaux et maghrébins, des espaces d’accomplissement de leur rêve. Pour faire face à ce phénomène, la commune travaille pour une meilleure autonomisation et employabilité des jeunes.

Comment le phénomène de la migration impacte-t-il le développement de la ville ?

L’impact de ce phénomène sur le développement de la commune a, de tout temps été le même, à savoir que nous notons d’abord un déplacement massif des bras valides vers le Nord.

La commune se vide de ses bras valides, ce qui ne permet pas l’éclosion et l’explosion d’activités économiques, gages du développement social et économique. Parfois, ces immigrés perdent la vie ou dans le meilleur des cas, ne nourrissent plus l’envie de revenir.

Ensuite, nous ne voulons pas que nos jeunes partent, mais en même temps nous ne pouvons pas ignorer que leur décision prend une part importante dans l’attrait de la ville. Les remises sont là. Les immigrés, de leur position, envoient de l’argent au pays pour soutenir les familles.

Les premières cases en tôle dans la commune de Djougou sont l’œuvre des immigrés revenus du Ghana. La plupart des belles maisons, des véhicules gros porteurs de la commune, appartiennent aux immigrés résidant en Italie, Allemagne, Belgique ou France. Un service en charge de la migration a été instauré il y a quelques années à la mairie de Djougou.

Les agents communaux sont-ils mieux formés sur la question aujourd’hui et quels sont les résultats auxquels vous avez déjà abouti ?  

Les services communaux en charge de la migration ont entrepris des séances de sensibilisation sur les dangers liés à la migration clandestine et ont procédé à l’élaboration d’un répertoire des rapatriés. Cela en collaboration avec une ONG locale qui s’intéresse à la question des migrants, en vue de faciliter leur insertion socioprofessionnelle grâce à l’appui de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Actuellement, il y a un démembrement de l’OIM-Bénin, dont le bureau est à la mairie de Djougou, qui travaille en étroite collaboration avec nos services compétents sur cette thématique très sensible. Mais la question de la formation de nos agents qui animent ce service reste entière.

Pour arrêter la saignée, la solution passera par la création des unités de production dans la commune et la formation des jeunes à l’esprit d’entreprenariat. L’accent sera mis sur les artisans qui apprennent un métier et qui rangent leur diplôme au placard pour aller braver le désert ou la méditerranée. Un effort pour créer de grands ateliers où ils travailleront en complémentarité serait une porte de sortie.

Une autre porte de sortie s’offre à la commune avec le sous-projet construction/réhabilitation du Lycée technique agropastoral de Djougou lancé en octobre 2020 par une étude d’impact environnemental et social.

Qu’est-ce que ce projet de développement de l’emploi peut apporter de plus à la lutte contre la migration des jeunes ?

Ce projet vise à maintenir les jeunes sur place. Le conseil communal a déjà identifié 1000 hectares de parcelles pour ce lycée agricole. Il a par ailleurs autorisé, à l’issue de sa dernière réunion, l’acquisition d’un domaine de 10 hectares dans le village de Bougou pour la mise en œuvre d’un projet agro-pastorale d’élevage et de plantation d’anacardiers.

Tous ces programmes visent à faire de nos jeunes des modèles, de vrais champions en matière de production et de connaissances pratiques inculquées sur les lieux.

Mais, il n’y a pas que le chômage qui menace les jeunes de la commune de Djougou. Le radicalisme violent pourrait venir recruter également dans le rang de cette couche de la population.

Djougou mérite une grande attention sur la question de l’extrémisme religieux. Ceux qui ne nous veulent pas du bien partagent la même religion avec la très grande majorité de la population. Le niveau de misère est si élevé que je crains que ce ne soit un terreau fertile pour entraîner les esprits fragiles dans le radicalisme.

Nous ne demandons pas de l’assistanat, mais il s’agit de travailler ensemble pour mobiliser des ressources propres et proposer une meilleure offre politique aux personnes vulnérables.

Le régime foncier est par exemple une grande richesse pour Djougou, mais il n’est pas actualisé. La mairie n’arrive pas à récupérer les impôts fonciers à cause du caractère désuet du régime foncier urbain.

Il ne faut pas attendre le pire avant d’agir. Le Burkina-Faso se croyait épargner avant de se retrouver dans la situation chaotique qu’on connait aujourd’hui. La meilleure façon de prévenir la violence est de combattre la pauvreté sous toutes ses formes, au risque de pousser notre jeunesse à commettre l’irréparable.

Dans la Donga, en termes de fécondité, il y a 6,8 enfants par femme selon l’enquête démographique et de santé (EDSBV 2018). Et plus le niveau d’instruction est faible, plus l’indice de fécondité est élevé.

Comment la commune de Djougou entend relever le défi de la lutte contre la pauvreté, de l’éducation et particulièrement la scolarisation des filles ?

L’école apporte de la lumière à la jeunesse. Tant que le peuple n’a pas le savoir, il ne peut pas s’ouvrir au monde et mieux appréhender les défis de son temps.

L’illettrisme est une grosse épine dans nos pieds qui peut handicaper, à la base, le développement du jeune enfant. La pauvreté est très élevée au niveau de la Donga. Au même moment, le taux de natalité a grimpé comparativement aux autres régions, avec des familles polygames de 40-50 personnes.

C’est le moment, plus que jamais, d’équilibrer les indicateurs. Tous les ingrédients sont réunis pour une crise sociale. Pour empêcher l’explosion de ce cocktail molotov, l’éducation des filles, entre autres, ne peut pas être banalisée.

A Djougou, le barrage de Daringa fut un cas d’école en matière de gouvernance participative et de partage des ressources en eau entre agriculteurs et éleveurs. Récemment, avec le programme d’amélioration de l’accès à l’assainissement et des pratiques d’hygiène en milieu rural, un groupement d’artisans spécialisés de la localité a contribué à réaliser 57 latrines durables en un an pour lutter notamment contre la défécation à l’air libre dans l’arrondissent de Onklou.

L’effort collectif revêt quel sens pour la commune et quel chemin reste-t-il à parcourir dans ce sens ?

L’effort collectif revêt une importance capitale pour la commune. Comme le soutient un auteur « la participation la plus large possible est une fin en soi car, elle instaure un cercle vertueux, elle a une vertu éducative, elle développe les aptitudes à gouverner et le civisme, elle élargit l’horizon intellectuelle, elle donne confiance et elle libère ».

La participation citoyenne crée la motivation qui améliore l’adhésion et la contribution des populations aux projets de développement, engendrant une meilleure mobilisation des ressources. Elle favorise la veille citoyenne, la transparence, l’utilisation efficace et efficiente des ressources et la reddition de comptes.

Le bon fonctionnement de ce système facilite la bonne réactivité face aux attentes des citoyens, contribuant ainsi à la performance de la commune.  La mobilisation sociale à travers laquelle les efforts sont conjugués permet de trouver des solutions à certains problèmes communs à tous.

Dans ce sens, le chemin qui reste à parcourir est encore long malgré les efforts de sensibilisation et de communication. Mais à Djougou, la graine est déjà semée. La principale approche fortement utilisée dans les projets d’assainissement, d’hygiène et autres initiatives de base est «  l’ Assainissement totale pilotée par la communauté (l’ATPC) ».

Au début de votre mandat à la municipalité, vous avez initié « Djougou ville Propre » ? Quel bilan faites-vous aujourd’hui de cette initiative ?

La mobilisation citoyenne pour la salubrité dans la ville de Djougou vise à encourager les populations dans leur implication pour l’amélioration de leur cadre de vie. Le concours le « Quartier le plus propre », doté de prix afin de galvaniser les populations dans leur élan d’actions citoyennes, a permis d’assainir la ville de Djougou. Il a surtout permis un changement de comportement qui pérennise les bonnes pratiques promotionnelles d’hygiène et d’assainissement.

Léman, le quartier qui a remporté le concours « quartier le plus propre » n’était pas épargné par les épidémies de choléra. S’il est parvenu à ce niveau de maturité écologique aujourd’hui, c’est bien la preuve que nous progressons.

C’est vrai que l’impact d’une initiative axée sur le changement de comportement ne se mesure pas à l’échelle d’un projet de trois ou cinq mois. Nous allons donc travailler à pérenniser les résultats de cette initiative et les engagements que nous avons eus au concours du quartier le plus propre, qui sont vraiment encourageants si l’on considère les conditions institutionnelles dans lesquelles on a travaillé.

 

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