Révélation du Bénin à travers ses collectivités territoriales : Quelques pistes de réformes pour une 4e mandature de résultats !

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La quatrième mandature des conseils communaux et municipaux s’ouvre au Bénin dans un contexte des plus favorables ; relecture en cours de la Politique Nationale de Décentralisation/Déconcentration (Ponadec) et du cadre juridique de la décentralisation, remise au goût du jour des Plans de Décentralisation/Déconcentration, sans oublier l’Agenda 2030 dont une part importante des Objectifs de Développement Durable (Odd) relève de la compétence des communes.

Ce Programme mondial de développement atteint progressivement sa vitesse de croisière et offre des opportunités pour les collectivités locales. A cela s’ajoute la volonté du gouvernement de faire de gros investissements dans le développement local. Pour le moment, des Agences logées à la Présidence de la République et dans certains ministères pilotent ces Programmes dans le champ de compétence des communes, unique niveau de décentralisation au Bénin. Dans ce contexte d’opportunités, il est important de faire des réformes structurelles au niveau des collectivités territoriales afin de les rendre plus efficaces dans leurs deux principaux enjeux que sont le développement et la démocratie dans nos territoires.

 

Révision du cadre institutionnel communal

 

Elle permet de donner des missions claires aux deux principaux organes de la commune. Le maire est l’une des rares autorités publiques à cumuler les fonctions de Président Directeur Général, présidant l’organe délibérant et dirigeant l’organe exécutif. Dans certains pays africains, des réformes structurelles ont permis de séparer la direction de l’organe délibérant d’avec celle de l’organe exécutif. Des fonctions purement techniques ont également été soustraites des attributions du maire. Aujourd’hui, le secteur public tend à se réorganiser à la manière des entreprises en adoptant le mode de gestion par des Agences. L’institution communale doit également s’en inspirer. Des réflexions menées par des anciens dont certains ont eu à assumer des responsabilités gouvernementales, il ressort que les pressions et les tentatives de destitution des maires tirent souvent leurs origines de leur fonction d’ordonnateur du budget et de gestionnaire des marchés publics. Ils avaient préconisé que le maire soit officiellement déchargé de ces attributions. Ce qui constitue également une piste de réforme des organes communaux.

 

  1. Faire du conseil communal ou municipal, le haut lieu de la démocratie locale et du contrôle de la gestion du maire. En plus d’être conforté dans sa mission d’organe délibérant, le conseil communal ou municipal doit être le haut lieu de la démocratie locale. Pour cela, dans un contexte d’innovation, il doit être présidé par un autre conseiller que le maire. Le conseil communal ou municipal aura également pour mission, la mise en place des mécanismes permettant :

– l’implication des citoyens dans les prises de décisions au niveau de la commune et de ses organes infra communaux ;

– le suivi par les citoyens de la mise en œuvre des décisions et politiques publiques à tous les niveaux dans la commune ;

– la reddition des comptes aux populations dans des formes variées et améliorées.

Les sessions du conseil communal ou municipal, surtout celles ordinaires et budgétaires doivent être participatives et précédées de séances de débats dans les arrondissements, les quartiers de ville et les villages autour de l’ordre du jour et des préoccupations citoyennes. Périodiquement, des séances de reddition de comptes et de consultation des citoyens doivent permettre aux populations de se prononcer sur les grands sujets de l’heure. De même, ces séances donneront lieu à un compte rendu exhaustif des dépenses et des activités de la commune. Sur cette base, la gestion de la commune sera transparente. Le second défi de la démocratie locale est d’initier les populations à faire des débats sains sur les grands enjeux de développement local, les valeurs républicaines pour l’édification d’une citoyenneté responsable. Les conseillers communaux et municipaux doivent périodiquement transmettre aux citoyens des informations et recueillir leurs attentes.

  1. Faire de l’organe exécutif de la commune une Entreprise de développement local. Le fonctionnement du maire, organe exécutif de la commune doit être dynamisé afin de rendre l’administration locale très compétitive. Le maire et ses adjoints doivent s’entourer d’un cabinet et surtout d’une équipe technique avec des branches opérationnelles dans les domaines de :

– la promotion de l’économie locale et de la mobilisation des ressources y compris la saisine des opportunités de financement sur le plan national et international pour une réelle croissance économique locale ;

– la gestion des services sociaux de base ;

– la fourniture des services administratifs ; et

– deux (02) pôles densifiés pour :

– la gestion des Finances. La quête de la bonne gouvernance et de la qualité de la dépense publique communale ou municipale suppose une réforme de ce secteur et des règles de transparence permettant le contrôle citoyen de la gestion locale. Il faudrait donc profiter de la relecture du cadre juridique de la décentralisation pour revoir le pôle de gestion des ressources financières locales ;

– la planification et la prospective communales. La planification et la prospective communales sont des domaines négligés au sein des collectivités territoriales. Pour des résultats durables et efficients, il faudrait une planification axée sur des objectifs et des résultats.

 

Au cœur de ce nouveau dispositif exécutif, les dématérialisations et le numérique occuperont des places de choix. Il faudrait donc revoir l’organe exécutif communal et en faire une Entreprise de développement local. Sa mission sera de créer de la richesse locale à travers des partenariats avec l’Etat, le secteur privé, les Ptf pour fournir des services de qualité aux populations. A cet effet, les actions s’appuieront sur une planification locale permettant de faire l’état des lieux et la progression vers l’atteinte d’objectifs fixés pour la couverture des populations et des localités en services essentiels. Dans cette perspective, l’Etat devra mettre en place, un appui au renforcement des capacités des communes en Ressources humaines.

 

Mise en place d’un cadre de dialogue, de travail, de planification et d’évaluation des performances communales entre le gouvernement et les Collectivités territoriales du pays.

 

Compte tenu du partage de rôles et de responsabilités entre l’Etat et les collectivités territoriales en matière de politiques publiques, il est parfois nécessaire de disposer d’un cadre d’échanges et de planification. Dans cette perspective, chaque commune fera l’objet d’une évaluation annuelle de performances et des besoins en services sociaux de base. Cet exercice devra déboucher sur une planification antérieure à la finalisation du projet du budget général de l’Etat, des objectifs communaux à atteindre. L’antériorité de cette planification commune entre l’Etat et les collectivités territoriales au processus budgétaire de l’Etat facilite la prise en compte des préoccupations de part et d’autre. A défaut d’un Haut-Commissariat à la Décentralisation logé à la Présidence de la République (dont les attributions permettront de veiller à la transversalité de la décentralisation et au suivi des planifications et évaluations annuelles), il ne serait pas inutile de disposer d’un cadre où, les ministères et les communes, avec au besoin la société civile et les partenaires techniques et financiers, échangent et projettent l’organisation, la gestion et l’évaluation des services aux populations. Après les travaux des experts, le chef de l’Etat pourra en personne clôturer les sessions et se prononcer sur les engagements budgétaires de l’Etat envers les communes et l’articulation des interventions de l’Etat, étant entendu que les communes sont également des démembrements de l’Etat.

Valorisation du principe de subsidiarité à travers le transfert des ressources matérielles, humaines et financières de l’Etat vers les communes et projection à moyen terme d’intercommunalités pour gérer les infrastructures issues des grands projets en cours.

 

La décentralisation sans transfert des compétences et des ressources est une centralisation déguisée, aux antipodes du principe de subsidiarité qui régit la mise en place et la mise en œuvre de la décentralisation. Le principe de subsidiarité met la responsabilité d’une action publique à la charge du niveau d’autorité publique le plus compétent et le plus proche des bénéficiaires. C’est donc, pour l’action publique, la recherche du niveau le plus pertinent, le plus proche et le plus contrôlé par les citoyens. Il conduit à ne pas faire, à un échelon plus élevé, ce qui peut être fait avec plus d’efficacité à un échelon plus bas. En matière de décentralisation, le principe de subsidiarité conduit l’Etat à transférer, déléguer ou partager certaines de ses compétences avec les collectivités territoriales lorsqu’il considère qu’elles sont plus à même de les assumer, compte tenu de leur proximité avec les citoyens. Le transfert des ressources humaines, matérielles et financières de l’État vers les Collectivités locales est une exigence constitutionnelle et légale dans tous les pays qui expérimentent la décentralisation. Au Bénin, la récurrence de la phrase « …A cet effet, l’État lui transfère les ressources nécessaires » dans les lois sur la décentralisation, notamment les lois 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des Communes en République du Bénin et 98-005 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes à statut particulier, qui font corps avec la Constitution, témoigne de la volonté du législateur d’accompagner le transfert des compétences des ressources subséquentes.

Depuis 2016, le Bénin peut se réjouir de l’existence d’une volonté politique clairement exprimée de faire des collectivités territoriales les portes d’entrée des politiques de développement, tout en renforçant leurs ressources humaines et financières. Le Plan national de développement (Pnd 2018-2025) et le Programme de croissance pour le développement durable (Pc2d 2018-2021) ont pris des engagements forts pour la décentralisation. Le Pc2d fixe comme objectif en 2021 que la « part des transferts aux Collectivités territoriales dans le total des dépenses du budget général de l’État soit d’au moins 15 % ». Dans la pratique, les fruits n’ont pas encore tenu la promesse des fleurs. Dans le Pc2d, on peut lire, au point 179 : « Au plan de la gouvernance financière locale, sur la période 2018-2021, l’accent sera mis sur le développement local, à travers la poursuite des transferts financiers aux communes et la diversification des guichets du Fadec pour faciliter le financement des investissements économiques innovants et structurants par les communes, grâce au Partenariat public-privé ».

S’il est vrai que le Programme d’action du gouvernement (Pag 2016-2021), n’indique pas clairement des mesures au profit de la décentralisation, il regorge de projets et d’actions orientés vers le développement local. Le défi étant désormais d’œuvrer pour une gestion, à moyen terme, de ces investissements sous maîtrise d’ouvrage communal ou dans le cadre d’un Établissement Public de Coopération Intercommunal (Epci). Dans le cadre d’un Epci, on pourrait envisager des mesures d’ouverture assurant la présence de l’État.

Le Livre blanc sur la décentralisation Financière dans l’espace Uemoa, adopté par le Conseil des collectivités territoriales de l’Uemoa, préconise une fourchette de transfert de 20 à 30 % des ressources budgétaires nationales au profit des collectivités territoriales, et ce, à l’horizon 2025. Cette fourchette tient compte des aspirations et revendications constatées dans les différents pays. Au Bénin, l’Ancb a depuis plusieurs années axé son plaidoyer sur le transfert d’au moins 15 % des recettes budgétaires. Ce plaidoyer a été pris en compte par le gouvernement qui en a fait un objectif à atteindre d’ici 2021. A une année d’exercice budgétaire de cette échéance, le Bénin est toujours à environ 4 %.

Koffi Annan, ancien secrétaire général des Nations-Unies, lors du Sommet du millénaire en 2005, avait interrogé les dirigeants des États en ces termes :

« comment pouvons-nous espérer atteindre les objectifs de développement sans accomplir de progrès dans des domaines comme l’éducation, la lutte contre la faim, la santé, l’accès à l’eau, les conditions sanitaires et l’égalité des genres ? Les villes et les gouvernements locaux ont un rôle crucial à jouer dans tous ces domaines. Si nos objectifs sont mondiaux, c’est au niveau local qu’ils peuvent être le plus efficaces ». Cette interpellation doit à nouveau résonner dans les oreilles et dans les cœurs de l’ensemble des décideurs du pays.

 

Par Franck KINNINVO

 

Expert en Communication et en Décentralisation

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